Leçon 94


L'émigration à Médine



Emigration du Prophète (BP sur lui) et son Compagnon Abû Bakr As-Siddîq (Qu'Allah l'agrée)


Le bruit sur les nouvelles alliances de Mohammed (BP sur lui) se fit entendre chez les Qoraïchites qui s'apercevaient, en outre, des déplacements des prosélytes musulmans en direction de Médine ; là où les nouveaux alliés médinois iraient jusqu'à se sacrifier pour leur Prophète. En revanche, les chefs et grandes figures Qoraïchites se réunirent pour concerter sur l'affaire de Mohammed. Ce fut dans la Maison du Séminaire (Dâr an-Nadwah), un lieu de réunion aux notables de la tribu pour se consulter en temps de crise, lieu construit par Qusayy ibn Kilâb.

Pendant la réunion, plusieurs avis se furent exprimés : "Qu'on le mette dans des chaînes de fer, jusqu'à ce qu'il étouffe !" ou encore "Qu'on le chasse de nos terres et l'envoie en exil !" Mais l'un des chefs réfuta : "Ce n'est ni ceci, ni cela ! Si on l'emprisonne, la nouvelle se répandra et ses compagnons attaqueront pour vous l'arracher. Et si on l'exile, rien n'empêche qu'il conquière les oreilles des gens chez qui il résidera, par le charme de ses paroles et la cohérence de sa logique, au point qu'il revienne vous faire front avec ces gens derrière lui." Là, le tyran Abû Jahl prit la parole : "La bonne idée, c'est de sélectionner un groupe de forts jeunes hommes, un de chaque tribu, pour infliger tous ensemble à Mohammed un coup mortel. Ainsi, les tribus seraient-elles toutes responsables du meurtre ; et les Banû `Abd Manâf ne sauraient jamais leur faire la guerre à la fois (pour venger le sang de leur homme) !"

Cette idée fut appréciée, puis approuvée par les réunis qui désignèrent tout de suite les jeunes candidats au meurtre, et la fin de nuit où il devrait survenir. Pourtant, Allah – exalté soit-Il – prévint Son Messager (BP sur lui) des intentions de ses oppresseurs, et lui révéla Son autorisation d'émigrer vers Yathrib (Médine la Lumineuse). Temps au Prophète (BP sur lui) d'aller trouver Abû Bakr As-Siddîq (Qu'Allah l'agrée), de lui communiquer la nouvelle et de s'accorder avec lui sur la compagnie pendant le voyage. Ils se mirent d'accord à préparer les deux montures conçues par Abû Bakr à cette fin, choisirent un guide pour s'initier aux voies les plus courtes et fixèrent rendez-vous à leur départ la même nuit choisie par les Qoraïchites pour la réalisation de leur noir complot.

Dans cette même nuit, le Messager (BP sur lui) demanda à son cousin paternel `Alî ibn Abî Tâlib de prendre sa place au lit, s'enveloppant de sa propre couverture, afin d'éviter tout soupçon sur son absence de la maison. Et il sortit, en dépit de la présence des jeunes infidèles à sa porte, tout en récitant la sourate Yâ Sîn. Le Prophète les approcha. Arrivé à ce verset :
]æÌÚáäÇ ãä Èíä ÃíÏíåã ÓÏÇ æãä ÎáÝåã ÓÏÇ ÝÃÛÔíäÇåã Ýåã áÇ íÈÕÑæä[ [íÓ 9]


« Nous les recouvrirons d'un voile: et voilà qu'ils ne pourront rien voir » (Yâ Sîn 36 : 9)


il ne cessa de le répéter jusqu'à ce qu'il perça la foule ; Allah – le Très-Haut – avait aveuglé les assaillants, en les faisant plonger dans le sommeil. Le Prophète se dirigea vers la maison de Abû Bakr et les deux sortirent par une petite porte arrière de la maison, en direction du mont Thawr aux alentours de La Mecque. Ils se réfugièrent dans une grotte de ce mont.

Les jeunes infidèles étaient toujours dans l'attente de leur proie (BP sur lui). Réalisant enfin que leurs hommes passèrent la nuit à guetter `Alî ibn Abî Tâlib, non Mohammed (BP sur lui), les chefs Qoraïchites furent abasourdis et désemparés. Ils envoyèrent des agents pour rechercher le Prophète en toute direction, décernant une récompense de cent chamelles à quiconque le dénicherait. Les agents de Qoraïche partirent aux trousses de Mohammed.

Quelques-uns arrivèrent jusqu'au seuil de la grotte de Thawr, tellement petite que l'on aurait pu voir tout à l'intérieur, d'un simple regard furtif. Là, Abû Bakr fut frappé d'être, lui et son compagnon, à deux doigts de tomber. Mais le Prophète (BP sur lui) le rassura :
]áÇ ÊÍÒä Åä Çááå ãÚäÇá[ÇáÊæÈÉ 40] [


« Ne t'afflige pas, car Allah est avec nous » (At-Tawba Le Repentir 9 : 40)





De fait, Allah – exalté soit-Il – détourna d'eux les regards et les intuitions, à tel point que personne ne songea à jeter un coup d'œil à l'intérieur de la grotte. La toile d'araignée et le nid de colombes à l'entrée de la grotte écartaient toute possibilité de présence de quelqu'un dedans ; question tranchée par le tyran Umayya ibn Khalaf.

La grotte Thawr abrita donc le Prophète (BP sur lui) et son compagnon, trois nuits durant, au bout desquelles devraient cesser les opérations de recherche. `Abdullâh, fils de Abû Bakr y passait les nuits chez eux puis se rendait à la ville pendant le matin en vue de leur retransmettre les nouvelles qui les concernaient. La fille de Abû Bakr, Asmâ', leur apportait de quoi manger à chaque nuit. Par mesure préventive, Abû Bakr ordonnait à son fils d'amener les troupeaux d'ovins en pâturage vers la grotte afin d'effacer les traces des pieds (de `Abdullâh et de Asmâ') sur le sable.

Tôt le lendemain de la troisième nuit passée dans la grotte, soit le lundi de la première semaine du mois de rabî`al-awwal à l'an zéro de l'hégire (cinquante-trois ans de sa naissance - BP sur lui – et treize ans du début de son apostolat), deux chamelles furent amenées aux deux évadés. Ce fut par `Âmir ibn Fuhayra, esclave de Abû Bakr, et `Abdullâh ibn Urayqit, le guide qu'ils avaient embauché pour le trajet. Le Prophète chevaucha sa monture ainsi que Abû Bakr qui fit monter `Âmir ibn Fuhayra en croupe derrière lui pour les servir pendant le voyage. Le guide se dirigea vers le bas de La Mecque puis prit, les voyageurs derrière lui, la route vers la côte (de la Mer Rouge).

Ils furent surpris, en faisant chemin, par Surâqa ibn Mâlik le Mudlijite. Cet homme entendit un Qoraïchite parler d'une petite cohorte qui longeait la côte et qu'il avait soupçonné d'être Mohammed et ses compagnons. Surâqa se précipita dans cette direction. En approchant le cortège, il tomba de son cheval qui avait trébuché. Ensuite, il remonta et avança à tel point qu'il entendit le Prophète en train de réciter du Coran, sans tourner le regard, alors que Abû Bakr regardait de tout côté. Soudain, les pattes du cheval de Surâqa s'ensablèrent et le cavalier retomba par terre. La bête ne put se redresser qu'après les appels au secours lancés par son maître traumatisé, au Prophète (BP sur lui). En fait, une grande nuée de poussière montait en l'air, tel une fumée, à partir de l'endroit où les pattes du cheval se furent enfoncées. A l'entente des cris, le Prophète (BP sur lui) et son escorte stoppèrent. Surâqa se précipita vers eux, leur proposant des vivres et des équipements. "Seulement ne dit rien de nous !" répondit-on en rejetant. Mais Surâqa demanda au Prophète un écrit comme gage de sécurité. Alors, Abû Bakr écrivit pour l'homme ce qu'il eut demandé, sur les ordres du Prophète (BP sur lui). Au bout de son aventure, Surâqa rebroussa chemin sans en parler à personne. Et ce ne fut que plus tard qu'il raconta cette aventure à Abû Jahl. Le jour de la conquête de La Mecque, Surâqa se convertit à l'islam, et resta fidèle à ses préceptes.

Le Messager d'Allah et son compagnon continuèrent à progresser jusqu'à atteindre Qubâ', une ville de la banlieue médinoise. Ce fut un lundi du mois de rabî`al-awwal. Le Prophète (BP sur lui) y mit le cap chez les Banû `Amr ibn `Awf, tandis que Abû Bakr (Qu'Allah l'agrée) s'installa à As-Sunh, toujours à Médine, chez Khârija ibn Zayd.

Le Prophète (BP sur lui) séjourna à Qubâ' pendant pas mal de jours : il y construisit une mosquée – celle que le Coran qualifie de "fondée dès le premier jour sur la piété" – et y faisait les prières avec ses Compagnons mecquois (les Emigrés) et médinois (les Auxiliaires). `Alî ibn Abî Tâlib le rejoignit là-bas quelques jours après, puisqu'il devait rester en Mecque en vue de restituer les dépôts aux ayants droit.

Arrivée à Médine
Déjà les habitants de Médine, dès la propagation des nouvelles sur le déplacement du Prophète (BP sur lui) à destination de leur ville, sortaient chaque jour vers ses abords, guetter la venue du Prophète jusqu'à ce que la chaleur de midi les décourageât. Un jour après être repartis, les gens entendirent un cri perçant : "Ô les Arabes ! Voici votre chance que vous attendez !" Et on sortit de toute part à la réception du Prophète (BP sur lui) tout en avançant vers Al-Hirra, le territoire aux rochers noirs situé à l'entrée de Qubâ'.

De Qubâ', le Prophète (BP sur lui) se dirigea vers Médine escorté par les Auxiliaires médinois, réjouis, les épées brandies, faisant chemin à pied ou à dos de cheval, se disputant les licols de la chamelle du Prophète voulant chacun l'héberger chez lui. Les femmes et enfants chantaient :
La pleine lune nous est apparue
Sur les collines où nous avons accouru
Envers Allah, nous devons être reconnaissants
Et exprimer dans nos do’a des remerciements.
Ô toi le messager, parmi nous annoncé,
Tes ordres seront obéis et respectés

Ce fut un jour de vendredi. L'heure de la prière de midi fut venue lorsque le Prophète (BP sur lui) passait par les habitations des Banû Sâlim ibn `Awf ; il y fit halte et pria avec les fidèles. Il s'agissait là de la première prière de Vendredi que le Prophète ait accompli en islam. Depuis cette date, la prière en commun est due chaque vendredi, selon la plupart des avis rapportés. La prière terminée, le Prophète remonta sur le dos de sa chamelle et reprit chemin. Chaque fois qu'il passait par des demeures médinoises, les habitants vinrent le prier de rester chez eux, prenant la corde de sa chamelle. Mais le Prophète leur disait : "Lâchez-la ! Elle suit des Ordres !" La chamelle continua à défiler jusqu'à la cour des demeures des Banû `Adiyy ibn An-Najjâr, les oncles maternels du Prophète (BP sur lui) où elle s'arrêta et s'agenouilla devant la maison de Abû Ayyûb Al-Ansârî. "C'est ici, le séjour, par la Volonté du Très Haut !" Et le Prophète s'installa dans cette maison.

Il fut le hôte de Abû Ayyûb pendant un mois au bout duquel il acheta l'endroit où s'était agenouillée la chamelle, y construisit la mosquée et s'y logea. La mosquée fut édifiée de briques crues, à une hauteur dépassant de peu la taille humaine. La porte avait deux chambranles en pierres ; le plafond était construit de feuilles de palmier et les colonnes, de troncs de palmiers. Le Prophète (BP sur lui) prit part en personne aux travaux de construction pour encourager les travailleurs. Il bâtit à côté de la mosquée deux chambres pour ses deux et seules épouses à l'époque : `Â'icha et Sawda. Le nombre des chambres augmenta chaque fois que le Prophète prît une nouvelle épouse.

Le Prophète fit ensuite venir sa famille à Médine. Abû Bakr fit de même. Ainsi arrivèrent à Médine Sawda la femme du Prophète, ainsi que ses deux filles Fâtima et Umm Kulthûm. Quant à la troisième, Zaynab, elle fut empêchée par son mari Al-`Âs ibn Ar-Rabî` de rejoindre ses sœurs. D'autre part, `Abdullâh, fils de Abû Bakr se rendit à Médine avec la femme de son père et ses deux sœurs `Â'icha et Asmâ'. Cette dernière, mariée à Az-Zubayr ibn Al- `Awwâm, fut enceinte et donna naissance peu après à `Abdullâh, premier nouveau-né de la génération des Emigrés mecquois (Muhâjirîn) à Médine.

Les musulmans de La Mecque se succédèrent sur le chemin de l'émigration jusqu'à ce qu'il ne restât en Mecque que peu de gens incapables de partir. La vague d'émigration passée, les Auxiliaires de Médine (Ansâr) se disputaient l'honneur d'héberger les Emigrés de La Mecque, au point de trancher les disputes au moyen des tirages au sort. Voulant renforcer les liens de fraternité entre les deux camps, le Prophète (BP sur lui) déclara chaque médinois des Ansâr frère de son hôte, le mecquois des Muhâjirîn. Là on assistait à des exemples d'extrême altruisme donnés par les Ansâr, traduisant leur foi sincère en la fraternité pour l'amour du Très-Haut.